Parmi les archives de la Grande Guerre que recèlent de nombreux fonds de l’IMEC, les plus frappantes sont les photographies : aussi bien des portraits de soldats en groupe et au repos, dans les tranchées ou en patrouille, que des photographies de paysages totalement dévastés (« tranchée de la fille morte, en Argonne », par exemple). La photographie sur plaques de verre, encore encombrante et fragile, qui ne peut être déployée que par temps de répit, ne permet pas encore de maîtriser tous les réglages : les images sont souvent peu contrastées, pâles, parfois fantomatiques, ce qui ajoute de l’étrangeté et du calme à certaines scènes. Mais les regards sont vaillants devant l’objectif (il s’agit de montrer qu’on est encore capables de vaincre), parfois assez ironiques, rarement désespérés ou hagards, comme la lecture du Feu de Henri Barbusse nous le laisserait attendre.
Parmi les photographies, se trouvent un certain nombre de portraits d’écrivains, où l’on perçoit une conscience plus aiguë de la situation : le dernier portrait de Péguy, peu de jours avant sa mort, sûr de sa foi en la France ; Apollinaire, au regard déjà inquiet avant même d’être blessé ; Aragon, Fraenkel et Breton, adolescents encore, déjà médecins, brancardiers, comme la plupart des pacifistes ; Céline, jeune et fier cuirassier qui puisera sa haine de ses contemporaines dans les aléas de cette guerre, où il a été gravement blessé ; Brisson, officier exemplaire et dévoué à ses hommes ; Bernstein, nonchalant et néanmoins courageux aviateur et cavalier ; Paulhan, blessé et sombre, au milieu des infirmières en cornettes blanches… Chaque portrait photographique, pour être posé, n’en est pas moins lisible à plusieurs niveaux et riche d’informations diverses.
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Les écrits de la Grande Guerre envoyés vers l’arrière, depuis la lettre familiale à l’œuvre autobiographique ou romanesque, en passant par les essais de poésie de circonstance de Pierre Albert-Birot, confirment l’évolution rapide qui se fit parmi les intellectuels, aux prises avec la douleur de perdre leurs amis de leur âge et la fameuse douceur de vivre d’avant 14 : quatre années de guerre et les écrivains et les artistes survivants allaient révolutionner le monde de l’esprit.
Ensuite, ont été conservés de nombreux documents biographiques et administratifs, où transparaît la folie organisée de la guerre : la fausse monnaie en papier, utilisée dans les tranchées, mais aussi les innombrables modèles d’ausweiss (« ordre de transport pour isolé sans bagages et sans chevaux », par exemple), les tickets de ravitaillement, les modèles de correspondances aux armées, que l’Imprimerie nationale remettra en circulation vingt-deux ans plus tard.
Publié
dans Lettres à tous les Français, n°1 Fondation Robert Ardouvin / Collection André Vasseur |
Recherches et textes : Claire Paulhan
Traitement des ressources iconographiques : Marjorie Delabarre et Agnès Iskander
Mise en pages : André Derval