Perroux, François (1903-1987)
Nourri de la pensée des plus grands économistes étrangers, comme Marx, Schumpeter et Keynes dont il a contribué à diffuser les pensées en France, François Perroux a eu le souci constant de construire à travers ses cours, ses articles, ses ouvrages, une « économie d'intention scientifique », rigoureuse, avec l'objectif de proposer un paradigme opposable au paradigme walraso-parétien alors dominant. Ainsi, François Perroux se présente comme un théoricien majeur du courant hétérodoxe. Il a, dans sa quête d'un nouveau schéma global d'interprétation, forgé ou développé des concepts comme l'économie dominante, les espaces économiques, les pôles de développement, les asymétries, les industries motrices, les ressources humaines, la création collective, les coûts de l'homme, les contraintes et le don, etc. qui trouvent écho aujourd'hui notamment en économie du développement, en économie régionale, en économie internationale, en économie des ressources humaines, en sciences de gestion. Travailleur infatigable, il a laissé nombre de brouillons, notes, plans, projets inaboutis comme un dictionnaire d'économie.
Sa réflexion théorique a été constamment alimentée par l'intérêt porté aux problèmes concrets du moment tels que, dès les années 1930, l'organisation du travail au sein de l'entreprise, puis, juste après la Seconde Guerre mondiale, le Plan Marshall, les accords de Bretton Woods, mais aussi la nécessité de constituer une comptabilité nationale pour éclairer la politique économique, puis les formes nouvelles de l'innovation comme le tunnel sous la Manche, la conquête de l'espace, l'industrie atomique, avec une attention continue à la question du sous-développement, de la croissance et du progrès.
François Perroux a apporté un soin constant aux aspects pratiques, concrets, matériels, de la recherche. Soin d'abord à l'élaboration de la recherche avec l'appui de collaborateurs, d'où son engagement dans des instituts qu'il crée et préside comme l'Institut de science économique appliquée (ISEA), qu'il dirige comme l'Institut d'étude du développement économique et social (IEDES), qu'il gère comme la fondation Carrel ; soin ensuite à la diffusion de la recherche : enseignant remarquable, il est aussi éditeur et directeur de collections dès la Deuxième Guerre mondiale notamment avec les Presses universitaires de France (PUF), avant de créer et animer des revues dont les plus reconnues sont Économie appliquée,Économies et Sociétés, Mondes en Développement. La constitution et l'entretien inlassable de réseaux tant en France qu'à l'étranger, ainsi que permet de le mesurer sa correspondance, est une facette importante du souci de diffusion des idées, comme la rédaction de nombreux articles, la participation à de multiples conférences et colloques, tant en France qu'à l'étranger.
Ce travail inlassable d'inscription de la recherche dans le réel le conduit à prendre position et être force de proposition sur l'organisation de l'enseignement et de la recherche en sciences économiques et plus largement, en sciences sociales dans leurs articulations avec les sciences dures au moment où celles-là se structurent.
Grand intellectuel catholique, François Perroux fait sienne la doctrine sociale de l'Église. Au cours de ses années lyonnaises, il participe aux débuts d'Économie et Humanisme avec Louis-Joseph Lebret et contribue à la revue Esprit créée par Emmanuel Mounier. Son amitié avec le philosophe Jean Lacroix marquera toute sa vie.
Doté d'une immense culture, intéressé en particulier à la philosophie et à la sociologie, l'humaniste François Perroux a voulu apporter sa contribution aux grands débats qui ont fait l'histoire du XXe siècle comme les conflits de l'Europe danubienne, la montée du fascisme et de l'hitlérisme, le corporatisme, puis le rôle des États et des institutions internationales, la construction européenne, la guerre froide, le partage du monde et le Tiers Monde, mai 68 et la pensée d'Herbert Marcuse, etc.
François Perroux est résolument opposé à la peine de mort, et accorde une grande attention aux mouvements mondialistes, aux tentatives de désarmement. Guidé par « le souci de l'Homme et de tous les hommes », il est fermement attaché au développement de la personne humaine, à la promotion sociale, à la lutte contre la pauvreté et toutes les formes d'oppression.